1759: La conquête de Québec




La situation en 1759

Pour plusieurs historiens contemporains, l'issue tragique de la guerre de la conquête était inévitable. La Grande-Bretagne possèdait une flotte maritime beaucoup plus importante et pouvait ainsi empêcher les navires français d'atteindre la Nouvelle-France. De plus, la Nouvelle-France ne comptait que 5000 soldats comparativement à 23 000 dans les 13 colonies britanniques. Pour ce qui est de la population, les 13 colonies comptaient 1,5 millions d'habitants contre seulement 70 000 Canadiens.

Avec la guerre qui s'approche de plus en plus de Québec, on craint le pire. L'évêque de Québec, Mgr de Pontbriand, écrit au roi Louis XV. Il décrit la situation intenable. Il demande du secours de toute urgence. Le gouverneur Vaudreuil, tous les militaires responsables et les administrateurs coloniaux font de même. En vain. La France ne répond plus, ou si peu. Quatre ans avant le traité de Paris, la mère patrie a déjà abandonné la colonie française de la vallée du Saint-Laurent.

Vaudreuil

Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil, a 61 ans en 1759. Il est gouverneur de la Nouvelle-France et le premier homme né ici à occuper ce poste prestigieux. Contrairement à plusieurs Français qui viennent ici par obligation et s'empressent de retourner en France leur devoir accompli, Vaudreuil est Canadien d'abord. Son pays et son monde sont ici. Il ne s'entend pas du tout avec le général Montcalm. Il trouve les startégies de ce dernier trop passives. La destruction de Québec et des villages avoisinants lui brise le coeur, c'est son pays qu'il voit s'envoler en flammes.

Marquis de Montcalm
Montcalm

Âgé de 47 ans, le marquis Louis-Joseph de Montcalm est seigneur de Saint-Véran, de Candiac, de Tournemine, de Vestric, de Saint-Julien et d'Arpaon et baron de Gabriac. Bref, un parfait aristocrate français. Montcalm ne s'entend pas du tout avec le gouverneur Vaudreuil qu'il trouve «trop Canadien» à son goût. Dès son arrivée à Québec, Montcalm commence à comploter dans le dos du gouverneur dont il convoite le poste, tout en rêvant à un retour rapide en France. Dans ses premiers rapports, il accuse Vaudreuil de ne s'intéresser qu'aux coloniaux. De plus, les deux hommes sont complètement incapables de s'entendre sur une stratégie à suivre pour défendre la ville. L'aide de camp de Montcalm, Louis-Antoine de Bougainville, considère toutefois son supérieur comme un vrai héros.

Mais Montcalm demeure un homme défaitiste comme le prouve ce message qu'il écrit au chevalier de Lévis : «La colonie est perdue si la paix n'arrive pas; je ne vois rien qui puisse la sauver.» Montcalm avait d'ailleurs mis sur pied un plan de retraite des forces françaises vers la Louisiane, abandonnant ainsi les Canadiens à leur sort. Le plan ne fut pas accepté par Versailles. Le sort du Canada lui importe beaucoup moins que sa propre réputation et sa carrière, attitude que lui reprochent les habitants et miliciens canadiens, pour qui ce pays est devenu la patrie.

Wolfe

James Wolfe a 32 ans en 1759. Il est originaire du Kent en Angleterre. Horace Walpole, un écrivain du XVIIIe siècle, le décrit comme un homme insignifiant, tout à fait dépourvu d'humour et extrêmement affecté, arrogant et imbu de son importance. Une chose est sûre, Wolfe fait preuve de beaucoup de cruauté à l'égard des habitants francophones. En 1757, ayant reçu l'ordre de détruire les villages acadiens situés le long du golfe du Saint-Laurent il ordonna «que tout fût brûlé.» Il écrivit lui-même à Amherst qu'il avait «fait beaucoup de mal et répandu la terreur des armes de sa Majesté dans toute l'étendue du golfe, mais sans rien rajouter à sa réputation.» En 1758, c'est au tour de la péninsule de la Gaspésie d'être ravagée. Pour Québec, Wolfe a un but précis: conquérir la ville par tous les moyens ou la laisser en ruines.
Général James Wolfe


Il écrit encore à Amherst : «Si nous nous apercevons que Québec ne semble pas devoir tomber entre nos mains (tout en persévérant jusqu'au dernier moment), je propose de mettre la ville à feu avec nos obus, de détruire les moissons, les maisons et le bétail tant en haut qu'en bas [de Québec] et d'expédier le plus de Canadiens possible en Europe et de ne laisser derrière moi que famine et désolation; belle résolution et très chrétienne; mais nous devons montrer à ces scélérats à faire la guerre comme des gentilshommes.»

FAUSSES PROMESSES


En juin 1759, la flotte de Wolfe (12 000 hommes) remonte le fleuve en semant la terreur sur son passage. L'armée s'établit alors à l'île d'Orléans où Wolfe déclare que les «laboureurs, colons et paysans, les femmes, les enfants, et les ministres sacrés» seront protégés et épargnés. Il ajoute que le peuple pourra «jouir au milieu de la guerre de toutes les douceurs de la paix.» Les quelques habitants qui font confiance à la parole de Wolfe en paient le prix. Trois hommes sont scalpés et une maison où s'étaient réfugiés des femmes et des enfants est incendiée; les malheureux sont brûlés vifs. Puis, toute la côte sud du fleuve est saccagée et brûlée. Un soldat qui a participé à ces opérations de terreur n'est pas peu fier de noter dans son journal: «Nous avons brûlé et détruit jusqu'à quatorze cents belles fermes, car, pendant le siège, nous étions les maîtres de leur pays, le long de la rive, et nous envoyions presque continuellement des groupes pour ravager la campagne, si bien que cela leur prendra un demi-siècle pour réparer les dégâts.»

QUATRE-VINGT-CINQ JOURS DE GUERRE

La conquête de Québec n'est pas qu'une simple bataille, mais bien le résultat d'un siège qui dura du 26 juin au 18 septembre 1759. Tout au long de cet interminable et pénible affrontement, Montcalm adopte une stratégie purement défensive et ne prend aucune initiative contre l'ennemi. Wolfe tente deux attaques avant le mois de septembre, mais ses troupes sont repoussées à deux reprises. Malgré ces défaites, les Anglais entourent la ville et la bombardent jour et nuit pendant des semaines, la réduisant en un amas de ruines fumantes. On évalue à 15 000 le nombre de bombes lancées contre Québec. Le sort réservé aux campagnes avoisinantes n'est guère plus reluisant. Les fermes sont pillées et brûlées, les villages ravagés et les habitants (souvent femmes, enfants et prêtres) sont incarcérés dans des camps. Ce sont en effet les habitants canadiens qui subissent les pires effets de cette affreuse guerre.

Les troupes anglaises étaient accompagnées par les «Rangers», des miliciens américains si cruels et sanguinaires que certains officiers anglais répugnaient de leur confier des missions. Un officier anglais décrivit les Rangers comme des «chiens galeux, lâches et méprisables.» Ces Rangers commirent bon nombre d'atrocités durant la guerre, pillant, assassinant et scalpant les habitants.

De leurs côtés, les Canadiens qui n'avaient pas rejoint les rangs de la milice (souvent des enfants ou des vieillards) ainsi que leurs alliés Indiens, harcelaient les troupes anglaises tant qu'ils le pouvaient. Cachés dans les bois, ils ouvraient le feu sur ces soldats européens terrorisés qui n'étaient pas habitués à ce genre de combat «à l'indienne».

Les anciens Canadiens
Ancien Canadien
en raquettes
Les gens d'ici sont exaspérés par l'inaction de Montcalm. Ils voient leur pays s'envoler en fumée pendant que ces Français restent assis dans leurs tranchées à attendre. En fait, les Français de l'époque considéraient les Canadiens comme des êtres appartenant à une nation différente de la leur. Un haut responsable exaspéré avait un jour déclaré: «Pour les Canadiens, le deuxième péché véniel consiste à être Français!» Les Canadiens de leur côté, en avait assez de l'arrogance de leurs maîtres français, ne se voyant confier que des tâches sans importance et des rôles subalternes. Certains observateurs français prédisaient même qu'un jour viendrait ou de nouveaux états naîtraient sur ces vastes territoires du Nouveau Monde comme ce sera le cas quelques années plus tard pour les États-Unis. Malheureusement, les événements de 1759 vinrent mettre un terme à cette évolution normale qu'aurait pu connaître le Canada français.

LA BATAILLE DES PLAINES D'ABRAHAM


Le 13 septembre 1759, Wolfe se décide enfin à attaquer. Il n'informe ses officiers (Monckton, Townshend et Murray) qu'à la dernière minute et ceux-ci sont furieux contre lui. Le débarquement aura lieu au Foulon. Son objectif est de prendre les Français par surprise, mais il doute lui-même du succès de son entreprise. Dans les jours précédant le débarquement, il avait déjà commencé à écrire des lettres où il énumérait des excuses pour expliquer sa défaite. Mais il décide quand même de risquer la vie de ses trois mille six cents hommes. Courage ou folie ?

Vers quatre heures du matin, dans une nuit d'encre, des soldats sont envoyés en reconnaissance. Alors qu'ils approchent de la grève, une sentinelle française lance: «Qui vive? Qui vive?» Ce à quoi le capitaine Fraser réplique: «La France et vive le Roi!» Croyant qu'il s'agit de l'arrivée des ravitaillements, les Français laissent ainsi passer les Anglais, qui ont tôt fait de se débarrasser des sentinelles. Ils se mettent alors à escalader la falaise où ils affrontent l'officier Vergor et ses hommes. Écrasés par le nombre, les Français sont battus.

À cinq heures le débarquement a lieu et Wolfe supervise l'opération en personne. Montcalm n'atteit Québec que vers sept heures vingt pour constater que les Anglais sont maintenant sur les Plaines d'Abraham et se préparent au combat. Les tuniques rouges sont partout. Montcalm réunit son armée à la hâte. Les soldats français, les miliciens canadiens et leurs alliés indiens traversent bientôt la ville, tambours battants, en direction des Plaines. Peu après neuf heures, Montcalm a réuni quatre mille cinq cents hommes. Des tirailleurs canadiens et indiens, cachés dans les buissons, ouvrent le feu sur l'armée anglaise, immobile.

L'attaque des Plaines d'Abraham
Bataille des Plaines d'Abraham

À dix heures, Montcalm ordonne la charge. Celle-ci est désordonnée et indisciplinée. Des soldats ouvrent le feu avant que Montcalm n'en donne l'ordre, ce qui cause bien peu de dommages aux Anglais immobiles, couchés au sol. Wolfe attend que les Français soient seulement à quelques quarante verges de ses lignes avant de s'écrier «Fire!» Plusieurs Français sont alors fauchés d'un coup et les autres, pris au dépourvu, figent un moment sur place au lieu de réagir. Seuls les Canadiens se comportent convenablement et poussent l'attaque, pendant que l'armée française en déroute, fuit vers les remparts de la ville.

La mort de Wolfe
Mort de Wolfe
À dix heures vingt-quatre, dissimulé derrière un buisson, un tirailleur canadien vise et tire. Wolfe chancelle et s'écroule, atteint mortellement à la poitrine. Vers onze heures, Montcalm est à l'entrée de la porte Saint-Louis où il tente de calmer ses troupes. Comme il franchit la porte, il est atteint de deux balles, coup sur coup. Il rend l'âme le lendemain, après une longue agonie. Le 18 septembre, Ramesay signe la capitulation de la ville. Dès lors, les quinze mille habitants répartis entre Québec et Gaspé, vivant dans une ville et cinquante-neuf villages, paroisses et seigneuries, deviennent sujets de la couronne d'Angleterre. La France à qui ils avaient été fidèles les a abandonnés.


Québec en ruines

La Nouvelle-France, ou ce qui en reste, est en ruines. Partout ce n'est que famine et misère.

Le jour de la capitulation de Québec, le capitaine John Knox est envoyé pour prendre possession de la ville. Vue de l'extérieur, la capitale de la Nouvelle-France a toujours l'air indestructible. Mais une fois qu'il franchit les portes, il n'en revient pas. Aucune maison n'a été épargnée par les obus et les pots à feu anglais. La basse ville n'est plus qu'un amas de ruines fumantes parmi lesquelles rôdent es femmes et des enfants au visage hagard à la recherche de nourriture. Dans la haute ville, aucune maison n'est indemne, leurs murs sont transpercés de trous béants. Parmi les civils demeurés dans la ville on compte environ 2300 femmes, enfants et vieillards. Ils ont tout perdu. Les hommes ne sont pas là, ils sont toujours avec ce qui reste de l'armée française. Les ursulines soignent comme elles le peuvent les 1200 malades et blessés, qu'ils soient Français, Canadiens ou Anglais.

John Knox écrit dans son journal du 20 septembre: «Le ravage est inconcevable. Les maisons restées debout sont toutes plus ou moins perforées par nos obus. Les parties de la ville les moins endommagées sont les rues qui conduisent aux portes Saint-Jean, Saint-Louis et du Palais; elles portent cependant les marques de la destruction presque générale

Dans les campagnes autour de Québec, ce n'est guère mieux. Toute la Côte-de-Beaupré et l'île d'Orléans ont été saccagées, les soldats ont volé le bétail et incendié les maisons et les bâtiments de ferme. Les familles privées de leurs hommes valides viennent se réfugier à Québec ce qui augmente encore la misère. Seules les églises, épargnées par l'armée anglaise, sont encore debouts dans ce paysage désolé. De l'autre côté du fleuve, les villages ont souffert le même martyre. Les 19 paroisses du territoire qui s'étend jusqu'à Kamouraska ont payé cher leur résistance à l'envahisseur. Aucun village n'a été épargné, la plupart sont à reconstruire entièrement.

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Lévis à Sainte-Foy
Sainte-Foy: dernière victoire française en Amérique

En 1760, le chevalier de Lévis, arrivé de Montréal, attaque les Anglais à son tour et les défait à Sainte-Foy. Le siège de Québec recommence, mais cette fois-ci avec les Français à l'extérieur des murs. Les deux armées attendent désespérément des renforts, mais ce sont les Anglais qui en reçoivent. Lévis est alors obligé de se replier sur Montréal. La France n'a envoyé aucun renfort et les Canadiens, abandonnés et trahis, refusent de prendre les armes.


Le dilemme de Vaudreuil

À Montréal en 1760, Vaudreuil doit affronter un cruel dilemme. Trois armée britanniques comptant en tout 11 000 hommes encerclent la dernière ville française du Canada. Montréal est pratiquement sans défense. Tous, militaires et civils, lui recommandent de se rendre. Mais lorsqu'il apprend qu'Amherst leur refuse une reddition dans la dignité militaire, Lévis et Bougainville sont outrés. C'est leur honneur qui est en jeu! Ils exigent alors de faire une dernière sortie avec les 2400 hommes qui restent. Tout au moins, Lévis demande au gouverneur le privilège de se retirer dans l'île Sainte-Hélène avec ses hommes pour y défier Amherst. De cette façon, les officiers supérieurs plairaient au roi et sauveraient leurs carrières.

La carrière de Vaudreuil est aussi en jeu. Mais il sait fort bien que donner à Lévis la permission de se battre signifierait la destruction de Montréal et de nouvelles horribles souffrances infligées au peuple canadien. Les armées britanniques ont déjà prouvé leur férocité en Irlande, en Écosse et tout récemment en Acadie. Dans l'adversité, Vaudreuil prend la décision la plus difficile de sa carrière et ce faisant, prouve qu'il est un grand gouverneur. Il rejète la demande de Lévis et signe une capitulation qui protège les droits des Canadiens, leur intégrité physique, leurs biens, leur religion et leurs lois.

Lévis est humilié mais obéissant. Il se rend sur l'île Sainte-Hélèneil préfère brûler ses drapeaux plutôt que d'avoir à les remettre aux Anglais. Le 8 septembre, Montréal et tout le Canada sont cédés à l'Angleterre. Officiers, soldats, fonctionnaires et marchands français s'embarquent pour la France.

Lorsque Louis XV apprend la capitulation de la Nouvelle-France, il n'en revient pas. Ce n'est pas qu'il soit triste d'avoir perdu la colonie, pas du tout. Il ne se préoccupe aucunement du sort des Canadiens, pourtant tous d'origine française. Les Anglais peuvent faire ce qu'ils veulent de la population civile de la colonie, le roi n'est pas du tout intéressé. Ce qui le bouleverse c'est que son armée, la plus respectée d'Europe, a capitulé sans recevoir les honneurs de la guerre. Quelle honte! Pour lui, c'est pire que la perte d'un empire. Quelqu'un doit donc servir de bouc émissaire, et il n'est pas question que ce soit un officier supérieur de l'armée française!

portrait
Louis XV
À son arrivée au port de Brest en 1760, Vaudreuil le vieux gouverneur est presqu'aussitôt jeté dans la prison de la Bastille à Paris. Le roi le rend personnellement responsable du déshonneur qui frappe toute l'armée française. Le dernier gouverneur de la Nouvelle-France, un Canadien de surcroît, payera pour l'échec militaire humiliant.

Le sort des Canadiens

Après la capitulation, très peu de Canadiens retournent en France, ils sont nés ici et choisissent le Canada pour le meilleur et pour le pire. Les soixante-seize mille cent soixante-douze âmes qu'Amherst trouve au Canada demeurent et entreprennent la longue reconstruction de ce pays qui n'est plus tout à fait le leur. Pour ces gens et leurs descendants commence alors la longue lutte pour la survie et la reconnaissance, combat qui aujourd'hui n'est toujours pas terminé.




1755: Déportation des Acadiens

1524-1763: La Nouvelle-France

1763-1867: Le Bas-Canada britannique

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